Les contrats soumis aux auteurs provoquent une tension à la RTBF

Les nouveaux contrats imposés aux prestataires externes de la RTBF ont provoqué une levée de bouclier des syndicats, des sociétés d’auteurs, du Conseil supérieur de la Culture.

Journaliste au service Culture
Par Alain Lallemand
Publié le 26/02/2023 à 21:06 Temps de lecture: 6 min

source Le Soir :

https://www.lesoir.be/497594/article/2023-02-26/les-contrats-soumis-aux-auteurs-provoquent-une-tension-la-rtbf?

C’est une réforme étudiée depuis plusieurs mois par les services juridiques de la RTBF, présentée au middle management au début de l’automne puis mise en œuvre en décembre-janvier par le service financier : dans des termes unilatéraux et coercitifs, tous les prestataires de service externes à l’entreprise publique se sont vus soumettre une double « convention de prestation de services » visant à unifier et centraliser les prestations de tous les collaborateurs extérieurs, du plus humble chroniqueur anecdotique aux animateurs faux indépendants pour lesquels la radio-télévision est l’unique client. Tant le mode de distribution que la radicalité du contenu ont alarmé un front commun de syndicats, plusieurs fédérations professionnelles de la culture, enfin le Conseil supérieur de la Culture, lesquels ont à leur tour saisi l’administrateur général de la culture Freddy Cabaraux et la ministre de la Culture Bénédicte Linard (Ecolo). Depuis ce vendredi, les départements de la RTBF se sont engagés dans un dialogue pour tenter d’éteindre l’incendie.

Un double contrat

Que disent ces textes émis par le service financier de la RTBF ? Dans un premier temps, le « prestataire » se voit soumettre pour aval un « accord cadre » (de 14 pages serrées, selon notre version) qu’il ne peut ni imprimer, ni télécharger, ni amender. Sans même connaître les conditions financières qui lui seront proposées dans un second temps, le « prestataire » doit s’engager à « ne pas nuire » à son futur employeur, suivre les directives de son futur employeur pour toute relation future avec la presse, s’engager à l’exclusivité en contrepartie d’une indemnité unique (qu’il ne connaît pas encore), s’interdire le débauchage, enfin « céder sans réserve » ses droits de propriété intellectuelle (reproduction, communication, adaptation). Les clauses de droit moral et de confidentialité sont tout aussi unilatérales.

Dans ce premier contrat d’entreprise à « entreprise », il n’y avait donc pas de double disponible du contrat, et si le collaborateur externe refuse de signer, pas de référence qui permette au prestataire d’envoyer la moindre facture. Une mention « à effacer avant envoi au prestataire » figure en tête du second contrat, dit « contrat spécifique » : « Il ne peut y avoir d’accord spécifique sans signature préalable de l’accord cadre. »

Ce second contrat, « spécifique », cœur de la relation pécuniaire, ajuste bien entendu les rémunérations des collaborateurs selon les dernières modalités fiscales du droit d’auteur (50/50, 75/25 ou 100/0, selon les scénarios) et permet cette fois une modulation des clauses d’exclusivité et de non-concurrence. De facto, toute négociation semble balayée.

Les chroniqueurs, auteurs, animateurs, scénaristes, faux indépendants qui se sont vus soumettre ces documents par voie électronique se sont interrogés auprès de leurs sociétés de gestion collective de droits d’auteurs. La Sabam, mais aussi la SACD-Scam ont collecté par dizaines des témoignages qu’ils disent « douloureux » : « On a réuni une trentaine d’auteurs plaignants début février », confirme Frédéric Young, délégué général SACD-Belgique, « je suis tombé de ma chaise car ces gens ont exprimé une douleur, un mal-être au travail qui était impressionnant car il était unanime. Nous avons alors alerté la RTBF. » La fédération professionnelle des créateurs et interprètes de l’audiovisuel et du cinéma, Pro Spère, s’est-elle aussi alarmée et a interpellé le conseil d’administration de la RTBF.

Pas de négociation collective

Côté syndical, le problème a rapidement dépassé la délégation interne à l’entreprise publique pour mobiliser les centrales, unies désormais en front commun dans ce dossier. Une première réunion entre syndicats et sociétés de gestion collective a eu lieu le 17 février (il y en aura une autre le 3 mars) car ils disent partager un même souci : la RTBF nierait aux sociétés de gestion le droit de se mêler de ses relations aux prestataires, et nierait aux syndicats le droit de se mêler de relations contractuelles qui ne concernent pas le personnel. Il n’y aurait donc pas de place pour une négociation collective, juste du « B2B ».

La contestation est montée d’un cran jeudi matin, en Conseil supérieur de la culture, où le point est venu se greffer à l’ordre du jour. En ouverture de séance, le président Benjamin Schoos a dénoncé, au nom du Conseil supérieur, « une action aux limites de la légalité », des contrats imposés « de manière électronique, sous une forme qui s’apparente aux conditions générales d’Uber et de Facebook » et – dans un PV qui sera adressé à la ministre Linard et au gouvernement – il a recommandé de « faire intervenir d’urgence un organisme extérieur ». « Ces décisions managériales ont été préparées depuis un an, sans concertation syndicale ou des fédérations professionnelles des travailleurs (…), tous les témoignages convergent : ces décisions (…) aliènent de plus en plus le fonctionnement décent et démocratique de l’“opérateur-phare des opérateurs phares” de la Fédération, celui-là même qu’écoutent et regardent des centaines de milliers de citoyens tous les jours. »

Car c’est bien là qu’est le problème : la manière dont la RTBF traite ses auteurs pourrait faire tache d’huile. « Nous estimons qu’un service public doté des moyens nécessaires pour payer correctement son personnel doit être attentif à ces questions, et doit prendre en charge ce mal-être immédiatement », nous confirme Frédéric Young. Pour mémoire, la RTBF touche une dotation annuelle de plus de 350 millions d’euros, dont les trois-quarts sont consacrés aux rémunérations. Benjamin Schoos nous parle de « choc ».

Dès le lendemain, ce vendredi 24 février, une large réunion a eu lieu entre les sociétés de gestion (SACD, Scam, Sabam), ainsi que (au moins) les services juridiques et financiers de la RTBF. L’ouverture d’un dialogue, quoique limité, est alors devenu possible. Il semble que la RTBF reconnaisse que le format ou les modalités informatiques employés pour l’envoi des contrats étaient/sont problématiques. Des points d’accord plus larges que les seuls points techniques auraient été trouvés : « Les points sont traités et se résolvent », nous a communiqué hier Axelle Polet, porte-parole de la RTBF.