Les conditions du retour  de RTL en Belgique

La ministre des Médias a annoncé le «retour» des trois chaînes télés TVI, Plug et Club en Belgique.Sylvain Piraux.


JEAN-FRANÇOIS MUNSTER

Jeudi, la ministre des Médias a annoncé le «retour» des trois chaînes télés TVI, Plug et Club en Belgique.

Sous licence luxembourgeoise,   le groupe échappait depuis 2005   aux réglementations   de la Communauté française.
C’est la fin d’une situation qui empoisonnait les relations entre RTL et l’écosystème médiatique belge francophone depuis 18 ans. Le groupe audiovisuel et la ministre des Médias, Bénédicte Linard, ont annoncé ce jeudi le « retour » des trois chaînes télés (TVI, Plug et Club) et de la plateforme de streaming Play en Belgique. RTL a transmis au régulateur de l’audiovisuel francophone, le CSA, la déclaration nécessaire afin de devenir un éditeur de services de la Communauté française à part entière.
L’expression de « retour » est trompeuse puisque RTL n’a jamais quitté le pays d’un point de vue opérationnel. Au niveau juridique par contre, l’entreprise opérait depuis 2005 avec une licence luxembourgeoise uniquement. Cela signifie que le groupe échappait totalement au champ de compétences du CSA et ne devait pas respecter les décrets de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Cette situation était régulièrement source de tensions avec les autres acteurs du marché audiovisuel puisque RTL n’était pas soumis aux mêmes obligations qu’eux. La situation était aussi particulièrement inconfortable pour le CSA qui voyait le plus grand opérateur audiovisuel privé du marché échapper à son contrôle. Une situation qui le déforçait face aux autres régulés et qu’il n’a eu de cesse de contester devant les tribunaux.
Bénédicte Linard s’est félicitée de ce retour : « L’établissement de RTL en FWB, ainsi que sa reconnaissance de la compétence du CSA, est un moment important car RTL va pouvoir poursuivre son développement en étant pleinement en phase avec les règles du secteur audiovisuel et les valeurs défendues par la FWB, notamment en ce qui concerne l’accessibilité des contenus, la protection des mineurs et l’investissement dans des productions locales. » Le CEO de RTL, Guillaume Collard, a de son côté estimé que « cela allait donner un nouvel élan au secteur audiovisuel en FWB. »
Les raisons du retour
Pourquoi ce revirement ? Le changement d’actionnariat de RTL Belgium est l’élément principal. Le groupe appartient depuis 2022 à deux acteurs belges, Rossel et DPG, et non plus au groupe RTL, propriété de l’allemand Bertelsmann. Cette localisation au Luxembourg devenait un peu surréaliste à partir du moment où l’activité économique et l’actionnariat étaient belges. L’autre élément est lié à l’évolution du contexte législatif. La directive SMA (services médias audiovisuels) qui a été transposée en droit belge il y a deux ans est à ce point précise en matière de compétence territoriale et de critères de rattachement qu’elle ne laissait plus beaucoup de latitude juridique à RTL pour échapper au régulateur belge francophone. Il devenait difficile en particulier pour RTL de justifier que les décisions stratégiques concernant les trois chaînes étaient prises au Luxembourg alors qu’il n’y avait plus aucun administrateur issu de ce pays dans le CA.
La directive impose en outre aux éditeurs qui ciblent un marché étranger de contribuer au financement de la production audiovisuelle de ce marché, au même titre que les acteurs locaux. A ce niveau-là aussi, il n’y avait plus beaucoup d’intérêt pour RTL d’être localisé dans un autre pays.
Des garanties
Pour son retour en Belgique, RTL a néanmoins obtenu des garanties du monde politique. C’est le cas tout d’abord en matière de contribution à la production audiovisuelle.
L’annonce de ce jeudi est directement liée à un accord politique intervenu la semaine dernière au sein du gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles autour d’un projet de modification du décret SMA. Celle-ci vise à revoir à la hausse le pourcentage de chiffre d’affaires que chaque acteur du marché doit consacrer au financement de la production audiovisuelle en Communauté française. RTL a obtenu qu’une partie (maximum 30 %) de cette contribution obligatoire puisse être allouée à des émissions de flux (œuvres qui ne sont diffusées qu’une fois, comme des magazines, jeux…). L’opérateur craignait de devoir consacrer l’entièreté de sa contribution à des fictions (œuvres de stock) comme c’est prévu dans la réglementation actuelle. Cela lui posait problème en raison des spécificités de sa programmation. Autre point engrangé par RTL : l’accès au « fonds séries » créé par la Communauté française pour financer les séries de la RTBF. RTL a également obtenu des garanties en matière d’accessibilité des programmes aux personnes en situation de déficience sensorielle. Un arrêté de 2019 impose des obligations de sous-titrage et d’audiodescription aux éditeurs. En s’établissant en Belgique, RTL devra par exemple s’assurer que 75 % des programmes de TVI et de Club soient accessibles avec sous-titrages adaptés et que 20 % des programmes soient audiodécrits. Cela coûte évidemment de l’argent. RTL voulait que la Communauté française prenne en charge ces surcoûts – estimés aux alentours de 4 millions d’euros – comme elle l’a fait pour la RTBF. Un accord politique est intervenu sur ce point. Selon nos informations, la Communauté française compte financer cette aide en allant puiser dans la manne qui devrait lui revenir suite à la vente par le fédéral des licences 5G.
Pour les téléspectateurs, ce « retour » de RTL a aussi des implications. Les plaintes qu’ils adresseront au CSA concernant les programmes des trois chaînes pourront aboutir à des décisions effectives du régulateur. Depuis 2017, le CSA avait repris le traitement de ces plaintes mais lorsqu’une sanction était prononcée, la décision était systématiquement attaquée par le groupe devant le Conseil d’Etat. Il en résultait des procédures juridiques à rallonge. Plusieurs d’entre elles sont toujours en cours devant le Conseil d’Etat, la Cour européenne de justice et la Cour des marchés. Il y a un accord pour qu’elles soient abandonnées.