Tax shelter: l’extension au jeu vidéo s’appliquera en janvier

La Chambre a voté l’extension de cet incitant fiscal au secteur du jeu vidéo trois ans après un premier vote.

Cela faisait près de dix ans que l’on en parlait. Le tax shelter étendu au secteur des jeux vidéo permettra à des entreprises d’y investir une partie de leurs bénéfices en échange d’une exonération fiscale. – D.R.

Par Jean-François Munster, Journaliste au service économie.

C’est la fin d’une longue saga. Ce jeudi, le Parlement fédéral a officiellement approuvé le projet de loi qui étend le régime fiscal du tax shelter à l’industrie du jeu vidéo. L’entrée en vigueur du mécanisme est prévue pour le 1er janvier prochain. Cela fait près de dix ans que l’on en parle. Objectif : faire grandir un secteur jeune mais prometteur en lui donnant accès à une nouvelle source de financement. Le tax shelter permet en effet à des entreprises d’investir une partie de leurs bénéfices dans la production d’un nouveau jeu en échange d’une exonération fiscale. Le système a déjà fait ses preuves dans le cinéma (depuis 2004) et les arts de la scène (depuis 2017).

Une première tentative pour étendre le tax shelter au jeu vidéo a eu lieu en mars 2019. Un projet de loi avait été voté mais il a été recalé par l’Europe. A la différence du cinéma ou des arts de la scène, la Commission ne considère pas le jeu vidéo comme un produit pouvant bénéficier de l’exception culturelle et n’autorise pas l’Etat qui accorde l’aide à imposer un pourcentage minimum d’activité de production sur son territoire comme c’était prévu dans la loi belge. Il a donc fallu réécrire celle-ci pour supprimer cette restriction territoriale et trouver une parade qui permette tout de même de garantir des « dépenses belges » afin de conserver un effet retour suffisant (taxes, précompte professionnel…) pour les caisses de l’Etat.

Le mécanisme trouvé est basé sur le « test culturel », déjà utilisé par les fonds publics régionaux Vlaams Audiovisueel Fonds (VAF) et Wallimage Entreprise dans le cadre de leur soutien au secteur et validé par l’Europe. Ces tests – qui seront menés par les Communautés – visent à vérifier si le jeu vidéo répond à une série de critères lui permettant d’être qualifié de « culturel ». En Wallonie, un de ces deux critères doit notamment être rencontré : il faut qu’au moins 50 % des membres de l’équipe (et tout le management) aient « leur résidence principale en Wallonie, y soient taxés ou connaissent la culture wallonne » ou que le projet ait « un effet stimulant sur l’économie culturelle et créative nationale, étant donné qu’une partie essentielle de l’activité créative (développement conceptuel, design, programmation, son) a lieu en Wallonie ».

Armes égales

« Enfin ! » Jean Greban, le coordinateur de Walga, la plateforme des développeurs de jeux vidéo wallons, n’a pas caché sa satisfaction à l’annonce du vote. « Cela va permettre à notre industrie de se battre à armes égales avec celle des autres pays européens qui ont déjà mis en place des dispositifs fiscaux similaires. Nos producteurs vont avoir des arguments financiers à faire valoir pour pouvoir participer à de grandes coproductions européennes. Ce régime fiscal va aussi permettre d’attirer chez nous des studios étrangers. Enfin, pour les sociétés belges qui financent à 100 % leur jeu, cet argent va permettre de ne plus devoir attendre le début de sa commercialisation pour relancer un projet. Elles pourront mener deux projets en parallèle ce qui évitera des ruptures dans l’activité. » L’objectif global étant bien sûr de développer l’écosystème et de créer de l’emploi dans notre pays. « Aujourd’hui, on forme des jeunes talents dans nos écoles qui doivent ensuite s’exiler pour trouver du travail et développer des jeux que l’on va au final importer chez nous. Travaillons en circuit court ! »

Il estime que le tax shelter devrait permettre d’attirer 6 millions d’euros par an vers le secteur, soit une petite part des montants levés chaque année dans le cadre du tax shelter (142,7 millions l’an passé). L’objectif côté wallon est de doubler le nombre de studios dans les trois ans et de passer de 20 à 40. En 2020, le secteur était composé de 84 sociétés, employant 825 travailleurs pour 82 millions de chiffre d’affaires.

Le secteur du cinéma très critique

Si l’extension du tax shelter au jeu vidéo est saluée par beaucoup, elle fait aussi grincer des dents. A commencer par le secteur du cinéma. « Nous avons toujours été en faveur de l’arrivée de nouveaux entrants dans le tax shelter et nous n’avons aucune animosité par rapport au secteur du jeu vidéo qui présente beaucoup de complémentarités avec le cinéma », précise d’emblée Jean-Yves Roubin, président de l’Union des producteurs de films francophones. « Mais il y a un déséquilibre complet qui est créé entre l’audiovisuel – qui a des obligations de dépenses en Belgique fortes – et ce nouveau secteur qui n’en aura pas. Des sociétés étrangères pourront prendre l’argent du tax shelter et aller le dépenser ailleurs. Le test culturel évoque la nécessité d’avoir des activités en Belgique mais ce n’est pas quantifié et c’est donc sujet à interprétation. Avec ce système, il y a un risque de déshabiller Paul pour habiller Jacques. »

Même s’il reconnaît que les critères sont subjectifs, Jean Greban, le coordinateur de Walga (la plateforme des développeurs de jeux vidéo wallons), balaie ces critiques : « Personne n’a intérêt à ce que l’argent du tax shelter ne soit pas dépensé en Belgique. Les organismes qui délivreront les agréments, les plateformes intermédiaires (qui lèvent les fonds) y veilleront. Il y a plusieurs garde-fous. Venant d’un secteur où les abus en matière de tax shelter ont été nombreux, ces critiques sont un peu malvenues. »

« Un chèque sans provision »

Au sein de la majorité, des voix discordantes aussi se font entendre. Lors des discussions en commission, le député Open VLD Christian Leysen a relayé l’opinion du Liberaal Vlaams Verbond (Ligue libérale flamande) qui a décrit l’élargissement du tax shelter « comme la remise d’un chèque sans provision au lobby du jeu ». Il a aussi fait part de ses interrogations : « Un secteur déjà florissant sur le plan économique a-t-il besoin de mécanismes de soutien fiscal supplémentaires ? Cet incitant fiscal louable ne risque-t-il pas de manquer son objectif dès lors qu’il encourage les constructions juridico-fiscales astucieuses et subventionne des activités à l’étranger avec l’argent des contribuables belges ? »

Le député PS Hugues Bayet a aussi évoqué des risques de dérapage du système par manque d’encadrement des retombées pour l’économie belge : « Il faut des balises beaucoup plus strictes pour que le tax shelter ne serve pas à financer des projets étrangers sans effet retour pour notre pays. »