Palme d’Or à Justine Triet.

Discours La marchandisation   du cinéma dénoncée 

F.B.envoyée spéciale à cannes

Plus que le fait historique d’une troisième Palme d’or revenant à une femme, c’est le discours de la lauréate qui retient toutes les attentions en France. Montant sur scène pour recevoir son prix, Justine Triet a dénoncé « la façon choquante » dont le gouvernement « a nié la protestation contre la réforme des retraites », affirmant que « ce schéma de pouvoir dominateur, de plus en plus décomplexé, éclate dans plusieurs domaines », précisant que « le cinéma n’y échappe pas ». Et d’ajouter : « La marchandisation que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception culturelle française sans laquelle je ne serais pas là aujourd’hui devant vous. » Réaction mitigée de la salle, division de la classe politique et échanges houleux via Twitter. 

En parlant d’exception culturelle française, Justine Triet fait référence au statut spécial dont bénéficie la création culturelle, protégée des règles commerciales du libre-échange. Cela se traduit notamment par des quotas de production et de diffusion ainsi que des taxes (pourcentage prélevé sur le prix des billets vendus, auprès des diffuseurs télé, des plateformes, de la VOD) affectées au financement du Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC). Mais comme beaucoup d’autres artistes, Justine Triet s’inquiète d’« un glissement lent vers l’idée qu’on doit penser à la rentabilité des films ». 

La droite « estomaquée » 

Réaction immédiate de la ministre de la Culture Rima Abdul Malak sur son compte Twitter, se disant « estomaquée par son discours si injuste ». A droite, les critiques s’enchaînent : « Discours d’enfant gâté » (le maire de Cannes, David Lisnard), « Ingratitude d’une profession tant aidée » (le ministre chargé de l’Industrie Roland Lescure), « Anatomie d’un naufrage » (l’ancien ministre Eric Woerth), « Petit microcosme, biberonné aux aides publiques comme jamais » (Guillaume Kasbarian, président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale), « Ne mordez pas la main qui vous nourrit » (Valérie Pécresse, candidate à l’élection présidentielle 2022), « C’est du Le Pen dans le texte » (l’écologiste Benjamin Lucas). 

La gauche applaudit

Sur FranceInfo, la réalisatrice a admis le côté provocateur de son discours, mais assume : « Je suis dans une situation plus privilégiée, mais je ne peux pas arriver ici en faisant abstraction du monde. Cannes a toujours été le reflet de ça, c’est un endroit où les gens se sont exprimés politiquement. Pour moi, c’était une évidence. » Et de préciser : « Je ne dis pas qu’il faut qu’aucun film ne fasse d’entrées ! Mais c’est important de laisser cette porte ouverte, et c’est aussi comme ça que d’autres réalisateurs peuvent arriver : moi, j’en suis la preuve vivante, j’ai commencé par faire des films qui ne faisaient pas d’entrées… » Sur cette même chaîne, l’ancien ministre Jack Lang a soutenu la réalisatrice, expliquant qu’il « faudrait une loi anti-trust » pour le cinéma. D’autres figures de la gauche ont salué sa prise de paroles. Comme Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, Olivier Faure, numéro un du PS, ou Jean-Luc Mélenchon qui a écrit sur son compte Twitter : « Merci à Justine Triet pour son courage en plus de son talent. Cannes revient à sa tradition. C’est la gauche résistante qui a créé ce festival. »