Producteurs et diffuseurs de la scène demandent le «statut d’artiste»

À qui sera réservé le « statut d’artiste » ? Alors que s’écrivent les brouillons de loi, des producteurs et diffuseurs des arts de la scène plaident pour être pris en compte.

Journaliste au service Culture du Soir
Par Alain Lallemand
Publié le 10/01/2022 à 19:29 Temps de lecture: 4 min

Quel doit être le périmètre des travailleurs et travailleuses éligibles au futur statut d’artiste (on dira désormais « attestation de travail des arts ») par la future « Commission du travail des arts », commission qui devrait être bientôt l’interlocuteur unique des artistes pour leur reconnaissance ? Un collectif d’une bonne quinzaine de producteurs et diffuseurs des arts de la scène, Prodiff Collectif, veut s’assurer que leurs métiers ne seront pas laissés de côté.

On sait sur quelle base ont travaillé au printemps dernier le secteur et les cabinets fédéraux concernés lors de la consultation Working in the Arts, durant laquelle les producteurs et diffuseurs étaient défendus par l’association faîtière UpacT : l’attestation du travail des arts pourra être demandée par tout qui « fournit des prestations nécessaires à la création, à la production, à l’interprétation ou à l’exécution artistique, que ce soit à titre de fonctions artistiques, techniques et de support ». La définition est très large.

Tellement large que les partenaires sociaux, à travers l’avis rendu ce 7 décembre par le Conseil national du travail (CNT), ont fait remarquer que cela « peut représenter un groupe important dont il [le CNT] lui semble que l’ampleur n’a pas été mesurée quantitativement. Il attire l’attention sur le risque d’éviction de l’emploi régulier avec l’élargissement de cette notion à certaines fonctions. » En clair, un périmètre trop large pourrait induire une ubérisation du secteur. « (…) des critères qualitatifs doivent permettre de circonscrire la notion de travailleur des arts », car le périmètre retenu aura un impact sur le régime chômage et, selon le CNT, « l’impact budgétaire des mesures proposées n’a pas été suffisamment estimé dans la mesure où il repose sur un groupe cible dont l’extension n’a pas été chiffrée. »

Un périmètre encore incertain

Les représentants des employeurs sont plus cinglants encore : « (…) l’élargissement proposé du champ d’application aux activités techniques, de soutien (…) entraînera une augmentation incontrôlée du groupe des travailleurs des arts qui, en vertu de la proposition, ne devront même plus du tout démontrer d’activités artistiques pour avoir accès au régime spécifique de chômage. Telle ne peut pas être l’intention. »

C’est avec ces commentaires en main que les cabinets Dermagne et Vandenbroucke ont commencé à rédiger des textes de loi qui devront ensuite être soumis au gouvernement. La volonté des deux ministres est d’inclure tous les « travailleurs de la culture », mais le texte doit être soumis au kern, puis il repassera pour avis formel au CNT.

Lors de cet arbitrage final, les métiers de producteurs et diffuseurs des arts vivants pourraient-ils passer à la trappe ? C’est possible. Comparaison n’est pas raison, mais dans le milieu littéraire par exemple, les auteurs et illustrateurs sont bien des artistes, les éditeurs par contre (en ce sens « producteurs » et « diffuseurs ») sont hors périmètre pour une raison évidente : ils prennent en quelque sorte les mêmes risques que les auteurs, mais ils diluent ce risque par la diversité des projets qu’ils suivent et font aboutir. Il y a à leur niveau une stabilité et pas d’intermittence.

Des réalités fort variables

Le parallèle ne vaut que très partiellement pour les arts de la scène. Dans un courrier adressé en février 2021 aux ministres fédéraux, le Prodiff Collectif, qui représente seize bureaux indépendants de production et diffusion, ainsi que des professionnels travaillant « au projet », s’en était expliqué : « En effet, les fonctions de production et de diffusion, quand elles ont cours dans le cadre d’un lieu culturel ou d’une compagnie subventionnée, peuvent relever d’emplois dits “conventionnels” – à savoir des CDD de plus de trois mois ou des CDI pris en charge dans les budgets de fonctionnement des opérateurs. »

« Néanmoins », poursuit Prodiff Collectif, « les praticiennes et praticiens de la production et de la diffusion qui travaillent “au projet”  dont nous nous faisons le porte-parole ne peuvent prétendre à la même sécurité de rémunération. » Il existe donc parmi eux des « professionnels intermittents », qui « travaillent selon la même temporalité que les porteurs de projets. Ils partagent avec eux les mêmes risques de la création et de l’exploitation. »

Pierre-Laurent Boudet, directeur d’Entropie Production, nous explique ainsi qu’au sein de Prodiff Collectif, sur seize bureaux, quatre sont subventionnés par contrats-programme, trois bénéficient de financements pluriannuels, mais « c’est une très large… minorité ». Mêmes ces structures subsidiées dépendent à 50 % de l’économie des projets soutenus. Les autres entités travaillent « à 100 % sur l’économie des projets », elles travaillent aux côtés des artistes en partageant les mêmes aléas, les mêmes risques. « Il y a donc une très grande fragilité », constate Pierre-Laurent Boudet.

En conséquence, Prodiff Collectif souhaite une « intégration des professionnels de l’accompagnement aux équipes artistiques selon la même économie et la même égalité des chances », les producteurs-diffuseurs ne veulent pas être les laissés pour compte de la réforme.